Accusations de « vol » d’uranium : le Niger répond par le droit, les chiffres et l’histoire

Face aux accusations portées par le groupe français Orano évoquant un supposé « vol » d’uranium au Niger, les autorités nigériennes ont opposé une réponse ferme et méthodique, fondée sur le droit minier, les réalités économiques et l’histoire longue de l’exploitation de l’uranium dans le pays. Lors d’une communication officielle conduite par le Ministre des Mines, Commissaire-Colonel Abarchi Ousmane, et le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, Alio Daouda, ce samedi 27 décembre au Palais de la Présidence, le gouvernement a rejeté catégoriquement ces allégations, jugées infondées, juridiquement erronées et politiquement déplacées, tout en soulignant que la continuité de la production à la Somaïr a été rendue possible grâce aux investissements de l’État nigérien et à l’engagement des travailleurs nationaux, malgré les manœuvres d’Orano visant à interrompre l’exploitation.
Dans un contexte international où les ressources stratégiques structurent de plus en plus la souveraineté énergétique, la sécurité industrielle et les équilibres géopolitiques, les autorités nigériennes ont tenu à rappeler un principe fondamental : l’uranium du Niger appartient au Niger. Son exploitation relève de la souveraineté pleine et entière de l’État, dans le respect de sa législation et des standards internationaux.
Une concession n’est pas une propriété
D’entrée, le Ministre des Mines a tenu à dissiper ce qu’il qualifie de « confusion volontaire » entretenue par Orano et certains relais médiatiques. La concession minière d’Arlit, octroyée en 1968 pour une durée de 75 ans sur une superficie de 360 km², ne constitue en aucun cas une cession de propriété du sous-sol nigérien. Elle confère un droit d’exploitation conditionné, strictement encadré par la loi.
« Le sous-sol demeure un attribut souverain de l’État du Niger », a martelé le Commissaire-Colonel Abarchi Ousmane, rappelant que cette concession, initialement accordée au Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA), a été transférée successivement à la Kojima puis à Orano Mining en 2021. « À ce titre, l’État applique strictement sa réglementation minière et se réserve le droit de sanctionner tout partenaire qui ne respecte pas la loi. »
Sur le plan juridique, le ministre a détaillé les manquements reprochés à Orano Mining, notamment le non-paiement de la taxe de rédemption superficielle fixée par l’ordonnance du 8 août 2024 modifiant la loi minière. Un état de liquidation a été établi et transmis à Orano pour paiement en 2025, sans suite. Une mise en demeure de six mois a été notifiée le 23 septembre 2025. À ce jour, selon les autorités, les griefs n’ont pas été levés, ouvrant la voie, conformément à la loi, au processus de retrait de la concession d’Arlit.
Cinquante ans de déséquilibre économique documenté
Au cœur de la communication gouvernementale, un dossier chiffré et lourd de conséquences : la commercialisation de l’uranium nigérien. Depuis le début de l’exploitation industrielle en 1971 par la Société des Mines de l’Aïr (Somaïr), détenue à 63,4 % par Orano et à 36,6 % par la Sopamine représentant l’État du Niger, la règle était claire : chaque actionnaire devait commercialiser une part de la production proportionnelle à sa participation au capital.
La réalité, selon les chiffres officiels présentés, a été tout autre. Sur une production totale de 80 517 tonnes d’uranium entre 1971 et 2024, Orano a commercialisé 69 524 tonnes, soit 86,3 % du total, tandis que la Sopamine n’en a commercialisé que 7 392 tonnes, soit 9,2 %. Environ 3 601 tonnes, soit 4,5 %, ont été écoulées sur le marché spot.
« Cet écart structurel n’a jamais été corrigé en plus de cinquante ans », a souligné le Ministre des Mines. « Il a généré un manque à gagner cumulé considérable pour l’État, une sous-valorisation durable de la participation publique et une violation manifeste du principe de proportionnalité. »
Les autorités rappellent qu’entre 1971 et 1983, l’État nigérien était totalement exclu de la commercialisation. De 1984 à 2007, Orano a exercé un monopole de fait en commercialisant 100 % de la production. Même lors des périodes de forte demande mondiale, notamment entre 2008 et 2013, la captation de la valeur est restée largement à l’avantage du partenaire français.
Ruptures unilatérales et stratégie de désorganisation
Depuis les événements politiques du 26 juillet 2023, les relations entre l’État nigérien et Orano se sont fortement dégradées. Le gouvernement accuse le groupe français d’avoir adopté une posture de rupture marquée par des actes jugés graves : rapatriement soudain du personnel français, tentatives répétées d’arrêt de la production, déconnexion brutale des systèmes informatiques de la Somaïr en décembre 2024, résiliation des licences rendant l’outil industriel inopérant, tentative de cession des parts sans consultation de l’État, déclaration publique de perte de contrôle des filiales et saisine du CIRDI contre le Niger.
« Ces actes traduisent une volonté manifeste de désorganisation et de pression », a affirmé le Commissaire-Colonel Abarchi Ousmane, rappelant qu’en droit international de l’investissement, un investisseur ne peut se prévaloir de sa propre stratégie de retrait pour se prétendre lésé.
Une nationalisation présentée comme légale et responsable
C’est dans ce contexte que l’État du Niger a décidé, par ordonnance du 19 juin 2025, de nationaliser la Somaïr. Une décision que le gouvernement qualifie de légale, fondée et responsable, visant à sécuriser un secteur stratégique, garantir la continuité de l’exploitation, préserver les emplois et protéger l’intérêt général.
Le Garde des Sceaux, Alio Daouda, a apporté des précisions chiffrées sur la période postérieure à juillet 2023. Contrairement aux accusations évoquant un prétendu « vol » de 1 000 tonnes, il affirme que la quantité extraite est d’environ 2 000 tonnes, rendue possible grâce à des investissements directs de l’État nigérien à hauteur de 18 milliards de francs CFA et de la Sopamine à hauteur de 6 milliards.
« Cet uranium n’a pas poussé naturellement. Il a été extrait par la sueur et le labeur des travailleurs nigériens », a-t-il déclaré, soulignant l’appui logistique et financier de plusieurs structures publiques, notamment l’OPVN, les services fiscaux et douaniers, pour éviter l’arrêt de la production que, selon lui, Orano cherchait à provoquer.
Le lourd passif environnemental et sanitaire
Au-delà des aspects économiques et juridiques, le gouvernement nigérien a longuement insisté sur un volet longtemps relégué au second plan : le passif environnemental et sanitaire de l’exploitation de l’uranium à Arlit et Akouta.
L’exploitation intensive sur plus de cinquante ans a généré des millions de tonnes de résidus radioactifs, souvent stockés à l’air libre, exposant travailleurs, populations riveraines et écosystèmes à des risques durables. Des études indépendantes ont mis en évidence des contaminations radiologiques et chimiques des sols et des nappes phréatiques, notamment la nappe fossile de Tarat, dont près de 400 millions de mètres cubes ont été soutirés sur un stock estimé à 1,3 milliard.
Des mesures réalisées dès 2003 faisaient état de niveaux d’activité alpha dans l’eau potable largement supérieurs aux seuils recommandés par l’Organisation mondiale de la santé. Des témoignages de travailleurs évoquent des maladies pulmonaires chroniques et des cas de leucémie insuffisamment pris en charge.
Le dossier sensible de la Cominak
La fermeture définitive de la mine souterraine de la Cominak en mars 2021 a ouvert un autre chantier majeur : la réhabilitation du site. Le coût initial du plan de réaménagement, estimé à 95 milliards de francs CFA, a été réévalué à plus de 125 milliards, révélant l’ampleur des travaux nécessaires. Selon les autorités nigériennes, Orano aurait abandonné la mise en œuvre complète de ce plan, laissant subsister des risques environnementaux importants, notamment l’affaissement des galeries, la remontée des eaux contaminées et la gestion des résidus miniers.
« Ces obligations ne sont pas optionnelles », a rappelé le Ministre des Mines, soulignant que ce passif engage des responsabilités claires et ne peut être dissocié de toute analyse globale du partenariat minier.
« Le vol », une accusation jugée infamante
C’est sans doute sur le terrain sémantique que le ton s’est fait le plus ferme. Assimiler l’exercice de la souveraineté nigérienne à un « vol » est, pour le gouvernement, une dérive rhétorique dangereuse, infondée et indigne. « On ne peut pas voler ce que l’on possède légitimement », a résumé Alio Daouda, rappelant qu’une concession est un droit concédé, révocable, et non une exclusivité perpétuelle.
Pour Niamey, cette rhétorique vise à criminaliser un État souverain, à alimenter des peurs irrationnelles et à détourner l’attention d’un différend juridique et économique réel. « Le Niger ne répond pas par des slogans, mais par le droit, les chiffres et l’histoire », a insisté le Commissaire-Colonel Abarchi Ousmane.
Au terme de ce point de presse dense, le message des autorités nigériennes est resté constant : le Niger ne se retire ni de la coopération internationale ni des partenariats, mais il refuse désormais les déséquilibres hérités, les récits unilatéraux et les relations fondées sur l’asymétrie. « Le temps des ambiguïtés est révolu », a conclu le Ministre des Mines. « Celui de la clarté, du respect mutuel et de la souveraineté assumée est désormais ouvert. »
En affirmant sa position, Niamey entend replacer le débat là où il estime qu’il aurait toujours dû se tenir : sur le terrain du droit, de la responsabilité et de la dignité des nations.
Abdoulkarim (actuniger.com)




