« Pure Water » à Niamey : l’enquête choc de l'ANMC qui révèle le faux miroir de l’eau potable

C’est une scène banale, presque anodine, que vivent chaque jour des milliers de Niameyens. Sous la chaleur accablante, la soif se fait pressante. Au coin d’une rue, un vendeur tend un petit sachet givré, promesse de fraîcheur instantanée. “Pure Water”, “Eau Pure” : les mots rassurent, presque magiques. À moins de 50 francs CFA, c’est la boisson des petits moyens, l’eau du quotidien. Mais derrière cette apparente pureté se cache une tout autre réalité — celle d’un risque sanitaire d’une ampleur insoupçonnée, révélé par une enquête gouvernementale aussi minutieuse qu’inquiétante. Menée par l’Agence nigérienne de normalisation, de métrologie et de certification (ANMC), cette mission d’inspection a passé au crible 64 unités de production dans la capitale.

Les conclusions sont sans appel : conditions d’hygiène déplorables, absence de traitement adéquat, emballages non conformes… L’eau que consomment chaque jour des milliers de Nigériens est bien souvent tout sauf “pure”.

Pourtant, au milieu de ce tableau alarmant, quelques exceptions prouvent qu’une autre voie est possible. Trois entreprises – O’Pure, BAM.TI et Alina – tirent leur épingle du jeu avec des installations modernes, un traitement conforme et une réelle rigueur sanitaire. Mais sur les 64 unités inspectées, seules 4 disposent d’un registre de commerce en règle. Une statistique qui en dit long sur l’informalité qui règne dans ce secteur vital.

Un constat accablant sur toute la chaîne

Du 18 au 31 juillet dernier, sur instruction du ministère du Commerce et de l’Industrie, les inspecteurs de l'Agence Nigérienne de Normalisation, de Métrologie et de Certification (ANMC) ont sillonné Niamey. Leur mission : passer au crible 64 unités de production de ces petits sachets d’eau. Le rapport, présenté jeudi 30 octobre au ministre Abdoulaye Seydou, entouré des cadres de son département et des acteurs du secteur, est un réquisitoire implacable. Il dresse un tableau si sombre qu’il remet en cause la confiance aveugle accordée à ce produit de première nécessité.

Les conclusions sont sans appel : la majorité écrasante de ces ateliers opère en dehors de toute norme hygiénique et sanitaire. Le gendarme de la qualité parle de « manquements sur toute la chaîne », un euphémisme pour décrire une situation où la santé publique est mise en péril pour quelques pièces.

Les descriptions, recueillies sur place, sont éloquentes. On y découvre des unités de production implantées dans des zones inappropriées, souvent insalubres, où l’humidité et la poussière règnent en maîtres. Le matériel, rouillé et sale, est utilisé sans le moindre entretien préalable. Des paquets de sachets, destinés à la consommation, sont empilés directement sur le sol, exposés à toute contamination.

Dans certains ateliers, les toits sont noircis par la moisissure. Les salles de conditionnement, censées être aseptisées, sont parfois transformées en entrepôts ou, pire, en dortoirs pour le personnel. Les filtres, cœur du processus de purification, ne sont jamais changés. Pis, certains sont « rincés » à l’eau de javel ou à la poudre détergente avant d’être réutilisés, introduisant des produits chimiques agressifs directement dans l’eau de boisson.

Le personnel, dernier maillon de la chaîne, n’est pas en reste. Les inspecteurs ont noté des employés manipulant l’eau et les sachets avec des mains sales, ornées de bijoux, et parfois même avec des blessures non protégées. Un environnement aux antipodes de l’image de propreté que le nom « Pure Water » est censé incarner.

Des emballages toxiques et un stockage dangereux

L’enquête de l’ANMC ne s’est pas arrêtée à l’eau elle-même. Elle a aussi examiné son contenant. Les sachets d’emballage et les encres utilisées pour les marquages « ne sont souvent pas adaptés au contact alimentaire », peut-on lire dans le rapport. Certains de ces plastiques renfermeraient du plomb et d’autres métaux lourds, des substances hautement toxiques.

Les effets du plomb sur la santé sont dévastateurs, surtout chez les enfants : attaques du système nerveux, retards de développement, dommages aux reins et au foie, affaiblissement du système immunitaire. À long terme, l’exposition favorise l’apparition de cancers, de troubles irréversibles, et peut même conduire au décès. Ces substances agissent également comme de véritables perturbateurs endocriniens, augmentant les risques d’infertilité.

Enfin, la chaîne du froid est un mythe. Les sachets sont fréquemment stockés en plein soleil. Sous l’effet de la chaleur et de l’humidité, le plastique devient un incubateur pour les germes pathogènes. Le rapport cite nommément la présence de Staphylococcus aureus, Escherichia coli et Salmonella, des bactéries responsables d’intoxications alimentaires sévères, de diarrhées sanglantes, de nausées, de fièvres typhoïdes, de ballonnements et d’infections potentiellement mortelles pour les personnes vulnérables.

Les analyses de laboratoire confirment le pire

Les suspicions des inspecteurs sur le terrain ont été corroborées par la science. Des échantillons prélevés dans les 64 entreprises ont été analysés par le laboratoire de l’ANMC. Les résultats, accablants, ont sonné comme une seconde alarme.

Nitrites : un poison caché. La norme nigérienne fixe un seuil maximum de 0,1 mg de nitrites par litre. Certains sachets ont révélé des taux jusqu’à huit fois supérieurs à cette limite. Une fois ingérés, ces nitrites peuvent se transformer en nitrosamines dans l’organisme, des composés classés comme cancérigènes par l'Organisation mondiale de la santé.

Turbidité : une filtration défaillante. Les niveaux de turbidité – qui mesurent la limpidité de l’eau – étaient anormalement élevés, trahissant une filtration défectueuse, voire totalement absente.

Contamination microbienne massive. La flore aérobie totale, un indicateur de la charge microbienne globale, a atteint 1000 UFC (Unités Formant des Colonies) dans certains échantillons, soit dix fois le seuil acceptable de 100 UFC.

Coliformes fécaux : la preuve d'une contamination ultime. La présence de coliformes fécaux, le marqueur indubitable d'une contamination par des matières fécales, a été détectée. C'est le signe d'un risque sanitaire majeur, directement lié à des pathologies comme les diarrhées aiguës, les infections intestinales et les intoxications graves.

Prise de conscience et appel à l'action

Face à ce constat, la réaction des pouvoirs publics et des acteurs a été immédiate. Les représentants des producteurs de « Pure Water » présents à la réunion ont exprimé leur engagement à collaborer et à mettre en œuvre les recommandations de l’ANMC. Ils ont appelé à une « prise de conscience collective » de leur corporation et ont plaidé pour un « accompagnement technique » et un « renforcement de capacités » afin de garantir une eau propre à la consommation.

Le ministre Abdoulaye Seydou a, quant à lui, fermement rappelé les priorités du gouvernement. « La santé des consommateurs n’est pas négociable », a-t-il asséné, soulignant l’importance que les autorités de la Refondation accordent à une alimentation saine et de qualité. Tout en se disant disposé à accompagner les producteurs dans leur mise en conformité, il a rappelé leur « responsabilité première » dans la protection des consommateurs.

Le ministre a également annoncé la poursuite de ces inspections surprises sur tous les produits de grande consommation. Un signal fort adressé à l’ensemble des acteurs économiques : l’ère du laisser-faire en matière de sécurité sanitaire des aliments est révolue.

Alors que le soleil continue de taper sur les sachets de « Pure Water » entassés dans les échoppes de Niamey, une question demeure : cette enquête fera-t-elle enfin prendre conscience du drame sanitaire silencieux qui se joue dans l’indifférence générale ? Pour des milliers de consommateurs, la promesse d’une « eau pure » n’est plus aujourd’hui qu’un mirage dangereux.  

Abdoulkarim (actuniger.com)