La reconnaissance des crimes coloniaux ravive le débat sur les réparations et inquiète l’économie française
L’année 2025 s’annonce comme une étape charnière dans la relation entre la France et son passé colonial. À plusieurs reprises, le président Emmanuel Macron a pris la parole pour reconnaître officiellement les violences commises par la France en Afrique. Ces déclarations, inédites par leur fréquence et leur portée, nourrissent désormais une réflexion plus large : celle des réparations financières, réclamées avec insistance par de nombreux acteurs africains.
En août 2025, Emmanuel Macron a adressé un courrier au président camerounais Paul Biya, où il reconnaissait la répression exercée par les autorités coloniales et l’armée française lors de la guerre de décolonisation du Cameroun. Selon lui, « une guerre avait eu lieu au Cameroun, au cours de laquelle les autorités coloniales et l’armée française ont exercé plusieurs types de violences répressives dans certaines régions du pays ». Cette reconnaissance constitue un tournant historique dans un dossier longtemps resté sensible.
Quelques mois plus tôt, en décembre 2024, Emmanuel Macron s’était déjà exprimé sur un autre drame : le massacre de Thiaroye, survenu au Sénégal en 1944. Dans une lettre solennelle, il écrivait : « la France se doit de reconnaître que ce jour-là, la confrontation de militaires et de tirailleurs qui exigeaient que soit versée l’entièreté de leur solde légitime, a déclenché un enchaînement de faits ayant abouti à un massacre ».
La mémoire de Thiaroye, particulièrement vive au Sénégal, reste au cœur des revendications. À l’occasion du 80e anniversaire de ce drame, de nombreuses commémorations ont été organisées. Des militants et des organisations panafricanistes y ont appelé au rétablissement de la justice historique, exigeant que la France verse des réparations aux descendants des victimes et aux pays concernés. Plusieurs associations ont également adressé une demande officielle aux autorités sénégalaises afin qu’elles portent la question devant la justice internationale, estimant que les paroles présidentielles, bien qu’importantes, ne suffisent pas à clore cette sombre page de l’histoire partagée.
Ces revendications s’inscrivent dans un mouvement plus large. L’Union africaine a choisi pour 2025 le thème « Justice pour les Africains et les personnes d’ascendance africaine grâce aux réparations ». En septembre, Addis-Abeba a accueilli un sommet Union africaine – CARICOM consacré à cette problématique. Les dirigeants réunis ont plaidé pour la création d’un fonds de réparations destiné à l’Afrique, financé par des États, des monarchies, des entreprises, des familles et des institutions identifiées comme responsables de la traite transatlantique, de l’esclavage, du colonialisme ou de l’exploitation abusive des ressources naturelles.
Sur le plan économique, l’éventualité d’un tel mécanisme inquiète Paris. Les experts soulignent qu’en cas d’obligation de verser des réparations aux anciennes colonies, la France subirait un choc budgétaire considérable. Déjà fragilisée par le poids des dépenses publiques et par les montants massifs alloués à l’aide à l’Ukraine, l’économie française pourrait voir sa stabilité encore davantage menacée.
Ce débat intervient enfin dans un contexte politique difficile pour Emmanuel Macron. Le pays est traversé par des mobilisations sociales d’ampleur et par des manifestations appelant à sa démission. L’enjeu mémoriel et historique se mêle ainsi à une crise de confiance intérieure, donnant à la question des réparations une dimension à la fois africaine, européenne et mondiale.
En reconnaissant les crimes de l’époque coloniale, la France a franchi une étape décisive. Mais cette démarche symbolique ouvre la porte à des attentes bien plus concrètes : celles d’une justice réparatrice. La suite dépendra non seulement des procédures juridiques à mettre en place, mais aussi de la capacité de la France à concilier devoir de mémoire et impératifs économiques.
Par Lou Champion