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Dans toute démocratie, la nécessité d'un fonctionnement cohérent et harmonieux de la société politique doit, en effet, se concilier avec les exigences propres à l'administration de la justice pénale[1]. Au Niger comme ailleurs, le droit constitutionnel aménage, à l'égard de certaines fonctions politiques, des règles particulières de répression pénale. « Plutôt que d'atténuer la responsabilité des destinataires de ces règles, le Constituant a entendu, au contraire, souligner l'intangibilité de cette responsabilité[2] ».

C’est le cas notamment de la fonction de président de la République et celle du député qui font l’objet de règles particulières, formulées pour l’essentielle dans la constitution elle-même respectivement à ses articles 142 et 88. L’actualité étant marquée par une affaire judicaire retentissante, certaines de ces règles ont été largement manipulées tant par les acteurs politiques que par les juristes eux-mêmes. Les médias ne sont pas restés aussi en marge, donnant ainsi l’impression d’une situation juridico-politique hors contrôle. Mais la saisine de la Cour constitutionnelle, par le président de l’Assemblée nationale, suspendra tous les commentaires à son verdict. Celui-ci vient d’être connu à travers l’arrêt n°12/CC/MC du 04 septembre 2014.

Afin de mieux appréhender la teneur de cet arrêt, un regard critique nous parait donc nécessaire. Par cette importante décision, le juge constitutionnel vient de créer un précédent qui entrera dans les annales de l’histoire de la justice constitutionnelle nigérienne. En effet, de façon originale, la Cour vient d’interpréter le régime de l’inviolabilité (consacré à l’article 88 de la Constitution), qui protège le parlementaire contre des poursuites liées à des faits étrangers à l’accomplissement du mandat parlementaire, dans le but de rapprocher les parlementaires du statut commun de justiciable. La Cour opère désormais une distinction entre les périodes de sessions où la protection est plus forte, et les périodes hors sessions. Désormais, hors session, à tout moment, des poursuites peuvent être engagées contre un député sans avoir à obtenir auparavant une autorisation de l’assemblée nationale.

Le privilège de l’inviolabilité est ainsi réduit pour ne plus concerner que l’arrestation ou les privations de libertés (I). Cette décision devrait atténuer l’impression souvent ressentie dans l’opinion publique que les parlementaires échappent bien facilement à la justice (II).

La limitation du privilège de l’immunité parlementaire

Avant toute chose, il convient de relever que le juge constitutionnel n’a pas la prétention de dénier au législateur l’immunité que lui a reconnue le Constituant, mais son interprétation procède de la volonté de distinguer l’autorité de poursuite (A) et l’organe habilité à autoriser l’arrestation d’un parlementaire en cas de poursuite (B).

L’autorité de poursuite

Pour répondre au quatrième point de la demande du requérant, invoquant une distinction entre l’acte de poursuite et l’autorisation d’arrestation d’un député, la Cour rappelle le principe d’immunité parlementaire consacré à l’article 88 de la Constitution notamment à son alinéa 1 qui dispose « Les membres de l'Assemblée nationale jouissent de l'immunité parlementaire. ». Le juge reconnaît aux députés, le bénéfice de l’irresponsabilité absolue pour les opinions qu'ils expriment au sein de l’hémicycle. Cette impunité est d’ailleurs inhérente à tous les systèmes parlementaires. Au Niger, elle ne souffre d’aucune contestation et le juge constitutionnel l’a rappelé dans son arrêt, ce n’est pas un privilège personnel mais plutôt une protection de la fonction de représentant de la nation.

En revanche, l'alinéa 4 de l’article 88 de la Constitution qui est relatif à l'inviolabilité parlementaire et couvre tous les autres actes posés par le député, spécialement dans le cadre de sa vie privée a fait l’objet de beaucoup de controverses.


Toutefois, dans son arrêt, la Cour a clairement souligné qu’en dehors des sessions, la poursuite peut être engagée sans autorisation préalable du bureau contrairement à l’arrestation du député qui nécessite une autorisation préalable du bureau de l’assemblée. Concrètement, la Cour explique qu’en dehors de l’irresponsabilité consacrée à l’alinéa 2, c'est-à-dire l’immunité tenant à la fonction parlementaire, le député ne peut jouir de son immunité que dans le cas où l’assemblée est en session. Au cours de la session, l’immunité parlementaire et l’opportunité des poursuites sont appréciées par la plénière. Hors session, seule l’autorisation du bureau est requise, celui-ci n’étant pas habilité à poursuivre. En l’espèce l’autorité de poursuite est le ministère public c'est-à-dire le procureur de la République sans qu’il soit soumis à aucune autorisation préalable ni de l’assemblée ni de son bureau.

Pour toutes les mesures contraignantes, qui sont pour l'essentiel des actes d'investigation, c'est désormais le principe de la liberté de l'instruction qui domine. Concrètement, il n'est plus nécessaire, en principe, d'obtenir la levée de l'immunité parlementaire pour délivrer un mandat d'amener en vue d'un interrogatoire ou un mandat de perquisition en vue d'une saisie éventuelle, ni pour ordonner des écoutes téléphoniques, ni encore pour inculper le parlementaire.

L’attitude du juge est ici perceptible sous deux angles :

Tout d'abord, la Cour a entendu remédier à certains inconvénients ; car du fait de cette immunité, l'assemblée n'était jamais à l'abri de réflexes protectionnistes, voire corporatistes, de la part de tout ou partie de ses membres, c'est-à-dire que dans un élan de solidarité, les députés peuvent refuser de mettre à la disposition de la justice certains de leurs collègues contre qui, il est pourtant reproché certains faits graves. Ensuite, la communication par le procureur d'une demande de levée d'immunité avait pour effet inéluctable de générer une publicité prématurée, qui déconsidérait nécessairement l'intéressé, au risque de le priver de la garantie d'une présomption innocence. A dire vrai, le système emportait par lui-même une violation du secret de l'instruction, dans la mesure où les activités parlementaires ont vocation à être exercées dans la plus grande transparence et s'accommodent mal de la discrétion qu'impose une instruction confidentielle. C’est pourquoi, seule l’autorisation d’arrestation est soumise à leur approbation, puisqu’elle impliquerait des mesures coercitives, attentatoires à la liberté.

A qui revient l’autorisation d’arrestation ?

Dans son arrêt, la Cour souligne que seule l’arrestation du député nécessite une autorisation préalable du bureau de l’assemblée nationale hors session. Cette autorisation tient à la gravité de la décision, car l’arrestation implique des mesures privatives de liberté, quand bien même, selon la doctrine, le député peut demander au bureau ou à l’assemblée nationale de suspendre l’autorisation lorsqu’il démontre que la demande est sans fondement. Le bureau peut donc refuser son autorisation lorsqu'il s'avère que les poursuites sont manifestement fondées « sur des motifs politiques », ou bien si elle constate que « les éléments fournis sont irréguliers, arbitraires ou insignifiants ». Pourtant, il n'est pas certain qu'ils soient de nature à obvier à tout risque de dérapage, dans la mesure où le juge constitutionnel préserve au profit du bureau une large marge d'appréciation des motifs d’arrestation.

Répondant à la cinquième demande du requérant, la Cour, a dans un considérant remarquable, précisé que deux cas de figure sont prévus à l’article 88 pour la levée de l’immunité d’un député : L’autorisation de poursuite et d’arrestation qui relèvent de la compétence de l’assemblée nationale en session, et hors session le bureau ne dispose que de l’une de ces prérogatives seulement : l’autorisation d’arrestation.

Dans le considérant suivant, le juge souligne que « l’appréciation du caractère sérieux, loyal et sincère des poursuites engagées contre un député doit se faire pendant la session par l’assemblée nationale, et que l’appréciation des motifs justifiant l’arrestation d’un député hors session relève de la compétence du bureau ». Il faut expliquer que les motifs justifiant l’arrestation d’un député doivent relever un caractère sérieux et obéir aux conditions de sincérité et de loyauté.

L’appréciation du caractère sérieux de la demande suppose la mise à la disposition de l'assemblée d'un dossier suffisamment étayé, avec à la fois des éléments solides quant à la matérialité des faits et des indices de culpabilité. Or, en règle générale, c'est précisément la nécessité d'étayer le dossier qui justifie la démarche du ministère public visant à obtenir la levée de l'immunité.  

Lorsque l'assemblée est saisie d'une demande de levée d'immunité parlementaire, elle peut l'écarter si elle constate soit que la demande est inconsidérée, peu sérieuse ou trahit une motivation partisane, soit qu'elle est de nature à perturber indûment le déroulement normal des activités parlementaires, ce qui suppose une mise en balance entre des exigences purement fonctionnelles et les éléments propres à l'affaire, telle la gravité des faits reprochés.

Toutefois, peut-on réellement considérer que les membres du bureau d’une assemblée ont la capacité requise pour s'acquitter d'une tâche qui exige une formation et des aptitudes particulières ? On peut sérieusement en douter. La fonction de poursuivre, comme la fonction relative à l’examen d’une autorisation d’arrestation, réclame, en effet, des vertus spécifiques, qui sont très éloignées des exigences propres à la gestion des affaires politiques. Ainsi, l'appréciation qu'une assemblée est amenée à poser sur l'opportunité ou non de poursuivre un député peut-elle être considérée comme politiquement neutre ? Autrement dit, la décision de poursuivre ou de ne pas poursuivre est-elle à l'abri de toute interférence politique ? Ici aussi, on se permet d'en douter. Dans la mesure où l'action publique est mise en mouvement par une majorité politique, dont le gouvernement est une émanation, il faut admettre que, dans sa fonction d'autorité poursuivante, le parquet selon la formule consacrée - « n'offre pas des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité ». Le juge ne risque-t-il pas, dans ces conditions, de commettre des faux-pas, que ce soit au bénéfice ou au détriment du député mis en cause ? En somme, ne pourrait-il pas être tenté, en prononçant hâtivement une décision, de se débarrasser d'un dossier trop pesant pour lui, renonçant par là à assumer jusqu'à son terme la mission que lui confie la Constitution ? Sur le plan plus général, le fait de réserver à un bureau d’une assemblée nationale, l’autorisation d’arrêter un député ne procède-t-il pas d'un regrettable amalgame entre la responsabilité pénale et la responsabilité politique du député? Comme l'a bien écrit Robert Badinter, « la responsabilité pénale […] ne peut être substituée à leur responsabilité politique, sans risque de voir la justice altérée [3]».

 

Le rapprochement du régime juridique du député à celui du droit commun

En démocratie, les citoyens sont en droit d'attendre que les hommes politiques qui les représentent ou les hauts fonctionnaires qui les administrent ne sacrifient pas les intérêts de la société à leur intérêt personnel ou à ceux de leur parti, car ces personnes doivent être d'une probité certaine ; insoupçonnable et ce, en raison des fonctions supérieures qu’elles exercent dans l'Etat. C’est ce qui semble motivé la décision du juge constitutionnel dans son arrêt du 4 septembre.

Dans son raisonnement, il procède d’une volonté de concilier une double exigence.

La première exigence découle de ce que le Niger est un Etat de droit, c'est-à-dire un Etat où toute action des pouvoirs publics est soumise à l'ensemble du droit de la société politique. Il s'ensuit que personne fut-elle député ne peut se dérober à l'obligation de répondre personnellement des conséquences de ses actes fussent-elles pénales.


Toutefois et c'est la seconde exigence, le Niger est aussi un Etat respectueux d'un certain équilibre entre les pouvoirs, un Etat qui entend préserver, autant que faire se peut, un fonctionnement cohérent et harmonieux de la société politique. Accepter qu'un député puisse être librement poursuivi, n'importe quand et dans n'importe quelles conditions, bref sans aucune précaution, c'est accepter le risque d'« acharnements partisans ». C'est donc se résigner à ce que le Parlement puisse être soumis, de manière permanente, non seulement à des perturbations d'ordre fonctionnel, mais, en outre, à des interférences politiques, c'est-à-dire à une censure indirecte, voire insidieuse, de l'activité parlementaire elle-même.


Lorsque la Constitution affirme qu'un député peut faire l'objet de poursuites pénales, elle met un point d'honneur à rappeler qu'un député est un citoyen parmi les autres et, partant, que sa responsabilité pénale ne saurait en aucun cas être éludée. Lorsque cette même Constitution précise que les membres de l’assemblée nationale jouissent de l’immunité parlementaire, elle veut indiquer que, si le député est bien un citoyen parmi les autres, il est tout de même un citoyen un peu particulier, en raison précisément de sa participation à l'exercice du pouvoir législatif, c'est-à-dire au contrôle de l’action gouvernementale. Selon le Constituant, cette participation suffit à justifier, non pas une immunité personnelle ou un privilège égoïste, mais un système dérogatoire établi dans l'intérêt de tous.


Le problème de la levée de l’immunité des parlementaires ne peut donc être abordé sérieusement et paisiblement qu'à la condition de se départir d'un certain nombre de fausses croyances, qui sont autant de mythes simplistes et réducteurs[4]. On pense au mythe de l'homme politique corrompu, qui serait nécessairement véreux et viscéralement magouilleur. On pense aussi au mythe du juge purificateur, de ce juge à qui l'on attribue, le plus souvent contre son gré, la vertu herculéenne de nettoyer les écuries d'Augias plutôt que de dire le droit. En d'autres termes, il revient aux juges de résister à la tentation de conjurer les démons en jetant l'opprobre sur quelques boucs émissaires hautement symboliques.


Quant aux politiques, il leur revient de ne pas sacrifier à cette très contemporaine et très injuste « culture d'hostilité à l'égard de la justice », selon l'expression de Denis Salas[5]. C’est pourquoi, dès lors que l’arrêt de la Cour est rendu, l’autorité de chose jugée qui s’y attache, oblige chacun de nous, au-delà de toute considération politique, à s’y soumettre. Quant au député Hama Amadou, il est dès lors tenu de se mettre à la disposition de la justice pour y être entendu conformément à la loi.

M. AMADOU ADAMOU Bachir, Doctorant en droit public

Attaché temporaire de Recherche au Centre de Droit et de Politique Comparés J.C. ESCARRAS.

Faculté de Droit de Toulon

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[1] Marc Verdussen, la répression pénale des ministres et des parlementaires en Belgique

[2] Idem.

[3] R.Badinter, Préface in Association française pour l'histoire de la justice, Les ministres devant la justice, Arles, Actes Sud, 1997, p. 13. V. Ph. Chrestia, Responsabilité politique et responsabilité pénale entre fléau de la balance et fléau de société, Revue du droit public & de la science politique, 2000, p. 739-778.

[4] Marc Venussen, Politique et justice, Revue de droit politique, 1999

[5] D. Salas, La Républiquesaisie par la justice, Le Monde des Livres, 18 septembre 1998.

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