FRADD 2023 : la mise en œuvre de l'Agenda 2030 des Nations Unies et de l'Agenda 2063 de l'UA au centre de la 9e Session qui se tient à Niamey
La capitale du Niger abrite du 28 février au 02 mars 2023, la 9ème édition du forum régional africain sur le développement durable (FRADD) avec pour thème central : « accélérer la reprise inclusive et verte après de multiples crises et la mise en œuvre intégrée et intégrale de l’agenda 2030 pour le développement durable et de l’agenda 2063 ».
C'est le Président de la République SEM. Mohamed Bazoum qui a présidé, mardi 28 février au Centre International des Conférences Mahatma Gandhi de Niamey, la cérémonie officielle d’ouverture de la 9ème Session du FRADD qui s'est déroulée en présence de la Vice-secrétaire générale des Nations Unies, Mme Amina Mohammed, du Président de l’Assemblée nationale SEM. Seyni Oumarou, du Premier ministre SEM. Ouhoumoudou Mahamadou, des Présidents des institutions de la République, des membres du gouvernement ainsi que des représentants du corps diplomatique, des organisations régionales et internationales et de nombreux invités de marque.
Plusieurs allocutions ont marqué cette cérémonie riche en couleurs dont celle de bienvenue du gouverneur de la Région de Niamey, M. Oudou Ambouka, M. Oudou Abouka, de la Secrétaire d’Etat à la promotion des affaires de la République du Cap Vert, Mme Adalgisa Barbosa Vaz et Présidente sortante de la FRADD, du Secrétaire Exécutif de la Commission économique et sociale des Nations Unies, M. Antonio Pedro et de la Vice-secrétaire générale des Nations unies pour l’environnement, Mme Amina Muhammad.
La promotion d'un monde juste pour accélérer la mise en œuvre des Agenda 2030 et 2063
Dans son discours officiel d'ouverture, le Président de la République s'est félicité du fait qu'après le Rwanda en 2022, c’est au tour du Niger d’accueillir la neuvième session du Forum Régional Africain sur le Développement Durable (FRADD) avant de se réjouir de cette marque de confiance que témoignent toute l’Afrique en général et la Commission Economique pour l’Afrique (CEA) en particulier à l’endroit du Niger. Après avoir saluer les immenses efforts déployés par le Président rwandais Paul Kagamé dont le pays a présidé, avec un grand succès, la 8e session du Forum, Mohamed Bazoum a souligné que cette 9e Session intervient à un moment crucial pour le continent africain, lequel est confronté à de multiples problèmes, aussi complexes les uns les autres. Des problèmes liés notamment à l’accès à l’eau, à l’énergie propre, aux nouvelles technologies, aux difficultés d’accès aux financements durables pour faire face aux effets néfastes du changement climatique a énuméré le Chef de l'Etat qui a ajouté par la même occasion, que ces problèmes se posent dans un contexte marqué par ailleurs par une croissance démographique élevée provoquant des crises alimentaires et nutritionnelles récurrentes. "Cette croissance échevelée de la démographie combinée à l’amenuisement des ressources naturelles induit par le changement climatique a généré de nouveaux types de conflits aux effets déstabilisateurs pour les Etats", a déclaré le Président Bazoum qui s'est, par ailleurs, réjouit du choix du thème central de la session, "un thème éminemment pertinent au regard de la mutation rapide du monde, mais surtout des enjeux qui lui sont attachés".
Dans son allocution, le chef de l'Etat a indiqué que l’accélération de la reprise inclusive et verte requiert assurément des efforts collectifs et bien pensés, aussi bien de la part des États membres, des entités des Nations Unies, des organisations régionales, des différents partenaires de développement que des acteurs de la société civile et du secteur privé. En d’autres termes, a plaidé le Chef de l'Etat, "nous devons tous nous convaincre d’une évidence ; la réalisation de réels progrès dans la mise en œuvre de l’Agenda 2030 des Nations Unies et de l’agenda 2063 de l’Union Africaine passe nécessairement par ces efforts qui mettront l’accent sur la promotion d’un monde juste, fondé sur des droits équitables et inclusifs de nature à promouvoir une croissance économique inclusive, la protection de l’environnement et la prise en charge des intérêts des générations futures".
Pour le Président Bazoum, le FRADD constitue une plate-forme pour le partage d'expériences, de bonnes pratiques et de leçons apprises dans les efforts de mise en œuvre des deux agendas, et c'est pourquoi, il a émis l'espoir que cette rencontre de Niamey, s’appuyant sur les acquis des sessions précédentes, puisse fournir des messages clairs, des orientations et les mesures nécessaires pour favoriser la mise en œuvre des deux agendas précités, dans notre région. En effet, a-t-il déclaré, les différentes évaluations des progrès des pays africains dans l’atteinte des ODD ont montré que des performances ont été réalisées dans certains domaines. Cependant, a reconnu le Chef de l'Etat nigérien, au rythme actuel, d’ici à 2030, l’Afrique ne saurait atteindre toutes les cibles des objectifs de développement durable, d’où "la nécessité d’œuvrer pour accroitre et accélérer les progrès, surtout au regard de certaines contraintes telles que l’insécurité et les impacts des changements climatiques susceptibles de remettre en cause les acquis jusqu’ici obtenus". S’agissant justement de ce dernier aspect, le Président Bazoum a estimé que l’insuffisance des financements et l’inadéquation constatée de plusieurs mécanismes de financement des actions de résilience aux changements climatiques constituent des sources de préoccupation pour notre continent. C’est pourquoi, et en référence aux résultats de la 27ième Session de la Conférence des Parties à la Convention des Nations Unies sur le Changement Climatique, il a invité le Forum à des réflexions approfondies qui s’imposent au contexte de l’Afrique pour des solutions innovantes et durables, à même d’améliorer l’accès aux fonds nécessaires pour faire face à ce fléau planétaire, et pour lequel, on le sait bien, notre contient n’est pas le premier coupable.
"J’ai noté, avec satisfaction, qu’au cours de la présente session, vous vous pencherez sur l’examen des progrès réalisés dans l’atteinte des objectifs de 5 ODD dans notre continent ; il s’agit de l’ODD 6 (eau potable et assainissement) ; ODD7 (énergie abordable et propre); ODD9 (industrie, innovation et infrastructure); ODD11 (villes et communautés durables) ; et ODD17 (partenariats pour les objectifs). Il s’agit là des domaines dans lesquels notre région a besoin de progresser pour véritablement éradiquer la pauvreté, protéger la Planète et faire en sorte que tous les êtres humains vivent dans la paix et la prospérité. Nous avons besoin de progrès dans ces domaines pour tendre vers cette Afrique intégrée, prospère et pacifique, dirigée par ses propres citoyens, et représentant une force dynamique sur la scène mondiale. Une Afrique qui évolue dans un monde juste, équitable, tolérant, ouvert et socialement inclusif, dans lequel les besoins des plus vulnérables sont satisfaits". SEM. Mohamed Bazoum, Président de la République du Niger
Le FRADD, un tremplin pour accélérer la transformation de l'Afrique
Auparavant, la présidente sortante du bureau du Forum et par ailleurs, Secrétaire d’Etat du Cap vert, Mme Adalgiza Barbosa, a rappelé les objectifs du FRADD, une plate-forme qui offre une occasion unique de réflexions sur la transformation de l’Afrique et un cadre d’échanges exceptionnel sur le devenir du continent. Elle a saisi l'occasion pour faire le bilan du mandat qui vient de s'achever. "Après la déclaration de Kigali, le bureau a mené des actions dont entre autres : la sensibilisation au forum politique de haut niveau sur le développement rural lors des réunions des comités intergouvernementaux des Hauts Fonctionnaires et experts de la CEA… ». La présidente du bureau sortant du FRADD a par la suite exhorté les pays membres du Forum à intensifier les efforts particulièrement sur quatre axes principaux qui sont le développement et le renforcement des mécanisme innovants, la mise en place de la grande muraille bleue sur les mers et océans ; l'accélération de la mise en œuvre des ODD 2030 et de l'Agenda 2063 ainsi que le renforcement de la capacité des jeunes et femmes à tirer profit de la numérisation, la science et la technologie.
De son coté, le Secrétaire exécutif par intérim de la CEA, M. Antonio Pedro, a axé son intervention sur la parfaite coordination du Forum par la ministre nigérienne de l’environnement, tout en appréciant la capacité du Niger d’héberger des évènements d'une telle envergure et surtout d'une telle importance pour le développement de l'Afrique. Rappelant le thème consacré à cette 9e Session, il indiqué que pour assurer le développement durable de l’Afrique, il faut mettre en avant la transformation structurelle du continent à travers le développement du digital ainsi que la relance des chaines de valeur durable. M. Antonio Pedro aussi abordé l’importance de l’intégration verticale et horizontale ainsi que l’harmonisation du travail des Nations Unies pour l’atteinte des objectifs de l’agenda 2030 et 2063 à travers la promotion de l’approche basée sur les résultats et les actions en faveur du climat. « Cette rencontre de Niamey sera la première pour la mise en œuvre et sur la projection de l’Afrique que nous voulons ", a souhaité le Secrétaire exécutif p.i de la CEA.
Intervenant en ligne, la Présidente du Conseil Economique et Social des Nations Unies a estimé pour sa part que la question de la réduction de la pauvreté en Afrique doit être une priorité pour l’atteinte des deux agendas des Nations unies et de l'UA. Dans un message, la représentante du Président de la Commission de l’Union Africaine, Dr Monique Nsanzabgwa, a invité les participants au Forum de Niamey, d’identifier les messages et aussi de faire des recommandations pour l'accélération de la mise en œuvre des deux agendas. Le développement durable du continent, a-t-elle plaidé, repose en grande partie sur le renforcement des capacités d’accès à l’électricité sur le continent, qui est la condition sine qua non pour l’industrialisation de l’Afrique. « L’année passée l’Union Africaine a organisé un sommet sur l’industrialisation. On doit investir dans la chaine des valeurs durables et on doit travailler sur les initiatives telles que la grande muraille verte du Sahel et la Muraille bleue pour les Mers et les Océans", a rappelé Dr Nsanzabgwa qui s'est appuyé sur les leçons tirées de la crise actuelle qui ont montré les limites des pays africains pour prôner une mise en œuvre des deux agendas orientée vers les jeunes en veillant particulièrement à tirer profit de la créativité et de l’énergie des jeunes gens, afin d’atteindre les objectifs des ODD et de l’agenda 2063.
Associer et faire entendre la voix des jeunes pour faire du 21e siècle, celui de l'Afrique
Dans son intervention, la Secrétaire générale adjointe des Nations Unies a déclaré que ce sommet se tient à un moment crucial pour l'Afrique et pour le monde. "Notre monde connaît une série de crises en cascade qui sapent les gains de développement durement acquis et menacent les générations actuelles et futures", a souligné Dr Amina Mohamed qui s'est particulièrement appesanti sur le cas de l'Afrique qui en subit pleinement les impacts avec les retombées socio-économiques de Covid-19, la crise climatique et la guerre en Ukraine. "Au Sahel où l'urgence climatique exacerbe une menace sécuritaire croissante, la propagation du terrorisme et une situation humanitaire catastrophique", a-t-elle mis en relief avant d'ajouter que le réchauffement de 2,7 degrés auquel le monde se dirige, pourrait se traduire par des pertes de près de 15 % du PIB dans la région du Sahel. De plus, a-t-elle ajouté, il y a une crise du coût de la vie sans précédent qui a plongé quelque 23 millions de personnes en Afrique dans l'extrême pauvreté en 2021. "À mi-parcours des objectifs de développement durable et de l'Agenda 2063, nous sommes loin d'être là où nous devons être", a-t-elle déploré tout en insistant sur le fait que ce n'est pas le moment de désespérer. "Au contraire, l'heure est à la solidarité, au leadership et à l'engagement dans les actions que nous devons entreprendre pour mettre en œuvre les agendas", a rappelé la Vice-secrétaire générale de l'ONU qui n'a pas manqué de rappeler les déclarations du Secrétaire général Antonio Guterres au dernier Sommet de l’UA : « l'Afrique est sur le point de progresser et le XXIe siècle est sur le point d'être le siècle de l'Afrique ».
La Vice-secrétaire générale de l'ONU a tenu particulièrement à saluer le leadership des autorités nigériennes notamment celui du Président Bazoum Mohamed. "Face aux complexités incroyables de l'environnement dans lequel nous vivions, nous réalisons tant de choses avec si peu et de toute urgence pour le peuple et la terre sur laquelle nous vivons", a poursuivi Dr Amina Mohamed pour qui ce processus se fait avec la compréhension commune que "grâce à des solutions dirigées par l'Afrique, nées sur le sol africain, nous pouvons changer de cap et relever le défi de l'Agenda 2063 et des ODD".
"L'Agenda 2030 et l'Agenda 2063 représentent notre voie vers la paix et la prospérité. Nous devons profiter du 9e Forum africain sur le développement durable qui offre une occasion importante de tracer une voie ambitieuse. J'attends avec impatience des délibérations fructueuses et un résultat influencé par l'ambition de l'Afrique, que nous pourrons présenter au sommet des ODD à New York et à la COP28 aux Émirats arabes unis", a conclu la Vice-secrétaire général des Nations unies.
Il faut noter qu'au cours de cette cérémonie solennelle, la jeunesse africaine a fait entendre leur voix à travers un poème brillamment présenté par deux jeunes : Melle Anita Hamidou (12 ans) et M. Djafar Moustapha (11ans) dont le message a fortement ému l'assistance. Conscients que si rien n’est fait dans l’immédiat leur avenir risque d’être compromis, ils ont plaidé pour une synergie africaine face au développement durable et exigé d’être désormais associés dans des initiatives qui les concernent. « Jeunes volontaires pour l’environnement, nous devons préserver notre planète en plantant et entretenir des arbres dans nos écoles. Les générations passées et présentes ont satisfait leurs besoins, laissons-nous un héritage d’une planète saine. », ont-ils plaidé.
A.K. Moumouni (actuniger.com)
Commentaires
Que comprendre?
Quand le Professeur Diop éclairait et que TOTO A DIT partage..:
PAR CHEIKH ANTA DIOP (FÉVRIER 1978)
SENGHOR ME DÉNIGRE À LA TÉLÉVISION
En quoi Senghor, qui n’a jamais contribué au progrès d’aucune science, fût-elle linguistique, se sentirait-il qualifié pour porter un jugement sur mes travaux ?
Aussi difficile que cela puisse être pour moi, je suis obligé de rétablir la matérialité des faits, sans pour autant, suivre Senghor sur le terrain primaire et scolaire où il se place d’emblée.
D’abord, il dispose des médias pour me dénigrer régulièrement, sans m’accorder le droit de réponse dans les mêmes conditions : cela témoigne d’un manque d’esprit sportif.
Comme d’habitude, toutes ses affirmations me concernant sont radicalement fausses ainsi que cela va apparaître : en premier lieu, contrairement à ce qu’il dit, j’ai obtenu la peau d’âne qu’est le doctorat de Lettres, doctorat d’État, avec la mention honorable, il y a de cela 18 ans, et ce fait s’était estompé dans mon esprit d’adulte comme tant d’autres du même genre. Donc, Senghor a dit sciemment une contrevérité à la télévision, à des fins d’intoxication.
A suivre
En second lieu, l’ouvrage qu’il cite comme étant ma thèse (‘Antériorité des Civilisation Noires’) et dont il aurait lu la partie linguistique, je ne l’ai écrit qu’en 1967, c’est-à-dire sept ans après ma soutenance, et il ne contient presque pas de partie linguistique, à peine quelques comparaisons entre le Wolof et l’égyptien ancien, mais, qui de ce fait, échappent à la compétence de Senghor. Par conséquent, il s’agissait seulement de prendre une attitude pédante et avantageuse devant les téléspectateurs.
En troisième lieu, mes thèses ne se confondent pas avec celles d’aucun auteur, Rivet, Moret, Breuil, etc. Sinon comment expliquer l’acharnement avec lequel les milieux conservateurs et nationalistes me combattent et me vouent une haine tenace depuis près de trente ans.
Quatrièmement, j’ai déjà dit dans ‘Nations Nègres’, page 138, (1re édition) et 187 (2e édition) et dans ‘Taxaw’ numéro 3, page 6, que mes travaux apportent du nouveau par rapport non seulement aux thèses de Hamburger, mais aussi de M. N. Reich. C’est à cette occasion que j’ai défini la déontologie du chercheur à laquelle Senghor est bien incapable de s’astreindre. Il n’y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
Senghor a dit à la télévision une phrase digne de maître Aliboron, qu’il ne répétera jamais, ‘mélangeant’ les noms Aurignacien, Moret, Breuil, Rivet, etc. ; que l’on s’est bien gardé de reproduire le lendemain dans la presse et qui montre qu’il prend les téléspectateurs sénégalais pour des ignorants. Nous attendons toujours des traces écrites dans une revue scientifique de ces idées qu’on prétend avoir recueillies dans les cours imaginaires desdits professeurs pendant la période qui va de 1930 à 1954, date de parution de ‘Nations Nègres’ ; j’aurais pu m’arrêter même en 1948, date de mon article intitulé ’Quand pourra-t-on parler d’une véritable renaissance culturelle africaine ?’. Oui en attendant un texte, même antidaté.
Si Senghor a suivi réellement ou même en imagination, les enseignements qu’il cite sur les idées que nous débattons aujourd’hui, pourquoi n’a-t-il pas fait dans ce domaine des travaux qui devraient précéder les miens de plusieurs décennies ? Comment expliquer cette carence ?
Dans le chapitre 2 de ‘Nations Nègres’ et dans le numéro 3 de ‘Taxaw’, page 3, j’ai montré clairement la nocivité pour l’âme africaine de ce que Senghor appelle la ‘négritude’. Que celle-ci triomphe et l’Afrique noire ne sera plus.
Comment donc des idées que j’ai passé toute ma vie à combattre, pour la survie de nos peuples, pourraient-elles m’influencer ?
Revenant à ma soutenance, je rappelle que plus d’un demi-millier de personnes y avaient assisté à la Sorbonne, elle dura sept heures et fut un vrai combat intellectuel sans concession, sous les yeux de toute la jeunesse estudiantine africaine présente à Paris. À la fin, ce fut un sentiment général de fierté très communicative qui anima toute l’assistance africaine car personne ne s’était trompé sur la profonde signification et l’importance de l’évènement : la culture africaine non folklorique venait de forcer les portes de la vieille Sorbonne. Les Africains commençaient à perdre leur complexe pour de bon.
D’autres Africains, aujourd’hui présents à Dakar, seraient mieux placés que moi pour décrire le contexte général de ces faits.
Les choses s’étaient passées ainsi parce que j’avais refusé, comme on le sait, toutes les solutions de facilité habituelle, qui auraient hypothéqué ma liberté de pensée. Il est de tradition à l’Université que tous ceux qui prennent pareils risques le paient. C’est le cas des meilleurs penseurs français à l’heure actuelle, surtout quand ils sont progressistes et c’est à leur honneur : Roger Garaudy, Henri Lefebres, Gilbert Murry, Michel Butor, Louis Althusser… celui-là même dont Senghor faisait l’éloge à la télévision.
Dans le journal Le Monde du 16 juin 1976 page 19, le professeur Olivier Reboul de l’Université de Strasbourg écrit : «Depuis le Vatican II, on se demandait ce qu’était devenu le Saint Office. Il semble bien qu’il fonctionne toujours sinon à Rome, du moins en France au sein de l’Université, sous le titre anodin de Comité Consultatif.»
Dans Le Monde de l’éducation, de février 1976, on lisait que le Comité consultatif des Universités avait refusé d’inscrire Michel Butor sur la liste d’aptitude aux fonctions de Maître de conférence, moyennant quoi l’Université de Genève a pu recruter Michel Butor. On apprend maintenant que le philosophe Louis Althusser vient d’essuyer le même refus. Cela signifie que des professeurs mondialement connus ayant enseigné quinze ans à l’étranger- je puis attester que Louis Althusser est un des très rares philosophes français dont on parle- ne peuvent avoir rang de professeur ou mieux de Maître de conférence chez nous. On rédige des thèses sur eux, mais eux n’ont pas le droit de diriger des thèses… Althusser est un de ces penseurs grâce auxquels on ne peut plus penser tout à fait comme avant.
Je ne suis pas fier d’être professeur dans une Université qui dénie ce titre à Butor et à Althusser.
Un agrégé de Lettres est un professeur de lycée qui doit travailler encore une dizaine d’années pour devenir Docteur d’État, afin de posséder ainsi le grade le plus élevé que l’université délivre dans sa branche. Senghor traîne le complexe de la thèse de Docteur d’État, cette peau d’âne qu’il n’a jamais pu posséder. Aussi ne sait-il pas qu’en Doctorat de Lettres, les mentions Bien et Très Bien, dont il a parlé d’un air docte à la télévision, n’existent pas. C’est ce complexe qui l’amène à collectionner les titres bidons, sans valeur, de docteur honoris causa glanés dans toutes les universités du monde, pour en vain tenter de remplir le vide qu’aurait occupé le vrai doctorat. Ce qui ridiculise le peuple sénégalais aux yeux du monde cultivé.
Demain, afin d’utiliser les moyens de l’État à des fins de promotion personnelle, il faudra faire voter une loi rendant incompatible la fonction de président de la République du Sénégal avec la quête ou l’obtention de distinctions sans rapport avec le développement du pays. Un jour on créera une commission chargée d’étudier les incidences budgétaires des complexes intellectuels de Senghor.
À propos de la question du plagiat, je renvoie à ‘Taxaw’ numéro 3, je ne suis que la énième victime avec Hamani Diori (Détérioration des termes de l’échange); le Président Bourguiba (Francophonie); la Pira (Civilisation de l’universel);
Camus (Politique politicienne); Ousmane Socé (Métissage culturel); Césaire (Négritude); André Blanchet (Balkanisation); Gaston Deferre (Horizon 80, devenu horizon 2000 ou 2001).
On ne doit être fier que de ces travaux. Rien n’est plus triste qu’un chercheur qui ne trouve rien. Si l’on se bornait à réciter le savoir acquis à l’école, sans rien y ajouter par nos propres découvertes, l’humanité en serait à l’âge primitif. Ce qui fait donc la valeur de l’intellectuel, c’est sa contribution réelle au progrès des connaissances de son temps.
Donc, dans le cas précis de mise au point, il faut que chacun indique de façon explicite son apport; il suffit de se reporter à mes travaux pour constater qu’en sciences humaines ils ont fait progresser les connaissances dans les disciplines suivantes : archéologie, préhistoire, anthropologie, physique, histoire, égyptologie, linguistique, histoire de la philosophie, sociologie, ethnologie, etc.
En sciences exactes, nous avons introduit au Sénégal, dans le cadre du transfert des technologies, un ensemble de techniques nucléaires d’avant-garde ; nous contribuons régulièrement au progrès des sciences de la terre, même dans le cadre de programmes internationaux, etc.
En quoi Senghor, qui n’a jamais contribué au progrès d’aucune science, fût-elle linguistique, se sentirait-il qualifié pour porter un jugement sur mes travaux ?
Enfin, sur un plan plus général, nous avons donné à la culture africaine ses lettres de noblesse, en la réconciliant avec l’histoire et en créant pour la première fois les bases scientifiques d’une linguistique diachronique africaine.
Les linguistes africains ne tarderont à s’apercevoir que notre ouvrage intitulé : Parenté génétique entre l’Égyptien pharaonique et les langues négro-africaines inaugure l’ère de la révolution linguistique africaine. Aussi j’espère que cet ouvrage, ainsi que Antiquité Africaine par l’image et Physique nucléaire et Chronologie absolue seront diffusés correctement sans délai au Sénégal, sinon je serai bien obligé de prendre des mesures.
Aujourd’hui presque toutes les idées que j’ai défendues dans le temps sont tombées dans le domaine commun. Mais que ceux qui étaient alors restés sur la touche veuillent bien me les resservir avec désinvolture.
Aimé Césaire, le vrai père de la négritude, l’inventeur de ce concept, dit de notre ouvrage Nations nègres et culture dans Discours sur le colonialisme qu’il est le ‘livre le plus audacieux qu’un nègre ait jamais écrit’, témoignant, par ce jugement de la nouveauté des idées contenues dans Nations Nègres par rapport même à la négritude et des difficultés que les intellectuels africains éprouvaient alors, à croire ces thèses qui leur paraissaient trop belles pour être vraies.
Nous avons décidé d’éliminer Senghor de la vie politique sénégalaise pour le plus grand bien du peuple sénégalais.
Cheikh Anta Diop, 13 février 1978.