Guinée équatoriale : huit ans de prison pour Baltasar Ebang Engonga, l’ex-haut fonctionnaire éclaboussé par le scandale des sextapes
La sentence est tombée, sèche et sans appel. Baltasar Ebang Engonga, plus connu sous le surnom de « Bello », l’ancien patron tout-puissant de l’Agence nationale d’investigation financière (ANIF), a été condamné ce jeudi à huit années de prison ferme et à une amende record de 125,4 millions de FCFA pour détournement de fonds publics. Une chute spectaculaire pour ce personnage au cœur d’un imbroglio politico-sexuel qui a, l’espace de quelques semaines, fait vaciller les plus hautes sphères du pouvoir et offert au monde un récit invraisemblable, mélange de corruption, de videottes intimes et de censure d’État.
Du bureau ministériel au cachot de Black Beach
Le tribunal provincial de Bioko a mis un point final à plusieurs mois d’une instruction aussi discrète que brûlante. Bello, jugé aux côtés de cinq autres hauts fonctionnaires, a été reconnu coupable d’avoir détourné des sommes comprises entre 5 et 125 millions de FCFA, frauduleusement prélevées sous le prétexte fallacieux de frais de mission déjà intégralement financés par l’État. « Les montants ont été utilisés à des fins personnelles », a statué la cour, selon les déclarations d’Hilario Mitogo, directeur général de presse de la Cour suprême, transmises aux médias via une sobre conversation WhatsApp.
Mais cette condamnation pour malversations financières, si lourde soit-elle, n’est que la partie émergée de l’iceberg Bello. Car l’affaire a basculé dans le chaos en novembre dernier, alors que le quinquagénaire croupissait en détention préventive à la sinistre prison de Black Beach. C’est à ce moment-là qu’une série de vidéos à caractère privé, des « sextapes » le mettant en scène, ont littéralement inondé les réseaux sociaux.
Le buzz qui fit trembler les Obiang
Les enregistrements, tournés à des dates indéterminées dans divers lieux – dont, avec un cynisme stupéfiant, son propre bureau au ministère des Finances – et avec différentes partenaires, parmi lesquelles figureraient des épouses de dignitaires locaux, sont instantanément devenus viraux. En quelques heures, le nom de « Bello » était sur toutes les lèvres, en Guinée équatoriale et bien au-delà.
La réaction des autorités fut à la mesure de la panique qui devait alors gagner le palais présidentiel : un bridage sévère du flux internet national, une tentative désespérée de mettre un terme aux téléchargements et aux partages. Une censure numérique qui rappelle les méthodes des régimes les plus autoritaires, preuve que le pouvoir avait perçu dans ce scandale privé une menace publique et politique d’une rare violence.
Trop tard. Le phénomène avait déjà franchi les frontières. La notoriété forcée de Bello a inspiré des chansons, des pas de danse, des photomontages le sacrant « Ballon d’or 2024 » – trophée détourné célébrant ses performances extra-sportives – ou vantant les mérites d’un aphrodisiaque baptisé, avec un humour féroce, « Balthazariem ».
Un héritage empoisonné
Le parcours de Baltasar Ebang Engonga ajoute une couche supplémentaire à ce récit shakespearien. Surnommé « Bello » en raison de son physique avantageux, cet homme marié agé d’une cinquantaine d’années, marié et père de famill n’est pas un simple parvenu. Il est le fils de Baltasar Engonga Edjo, actuel président de la commission de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC). Une filiation qui place ce scandale au cœur même de l’establishment et des élites interconnectées de la sous-région.
Aujourd’hui, les portes de Black Beach se referment sur lui pour huit longues années. Sa condamnation pour corruption envoie un message de fermeté, soigneusement mis en scène par un régime qui a été éclaboussé. Mais elle ne suffira pas à effacer l’onde de choc de l’affaire Bello. Celle-ci a levé un coin du voile sur les mœurs d’une caste dirigeante, a révélé la fragilité du pouvoir face à la viralité numérique et a offert au peuple, dans un élan de satire incontrôlable, une rare occasion de rire de ses maîtres.
La prison a eu raison du financier véreux. Mais le mythe de « Bello », lui, est déjà en liberté.
Ibrahim Issa (actuniger.com)