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des athletes

Alors que la bi-nationalité ne bénéficie pas de la surexposition médiatique obsessionnelle concernant la nationalité, l’identité et son lexique néfaste de « Français de papier ou de souche », elle devient soudainement centrale tous les quatre ans au moment de la Coupe du Monde de football. Cela s’explique à la fois par la présence des symboles patriotiques qui abondent dans le monde du sport et dans ses événements, mais également parce que cela pose la question de l’appartenance à la communauté nationale.

Le sportif porte-étendard

L’hymne national, les drapeaux, les tenues, les mascottes déclinés sur tous les supports possibles sont autant de symboles patriotiques qui représentent un pays et son équipe lors d’une compétition sportive internationale, en particulier dans le football. Le Mondial est une sorte de trêve ponctuelle,puisque le reste du temps il est normal de voir les joueurs évoluer dans des clubs du monde entier, sans qu’il soit fait mention de la bi-nationalité. Avec la Coupe du monde, chacun est pris d’une sorte de fièvre patriotique, le plus souvent de circonstance et enthousiaste, mais aussi parfois malheureusement de façon négative, comme lors de la demi-finale France-Maroc le 14 décembre dernier. C’est Jean-Marie Le Pen qui avait inauguré en 1996 les questionnements concernant l’origine des joueurs français, tant sur le pays d’origine de leurs parents que sur leur couleur de peau. De même, on a pu constater de l’irritation face à la célébration des victoires footballistiques de Français d’origine étrangère (ou d’étrangers) de leur pays d’origine ou de celui de leurs parents, comme si on ne pouvait aimer les deux pays constitutifs de son identité. Paradoxalement, ceux qui s’en offensent sont les mêmes qui se ravissent de voir les communautés françaises à l’étranger célébrer l’équipe de France, avec force béret et drapeau tricolore peint sur le visage.

Cette crispation est d’autant plus curieuse, que le monde du sport permet la naturalisation des athlètes : ils sont nombreux à défendre les couleurs d’un autre pays, qui en général offre de meilleures conditions d’entraînement et de possibilités de victoire. Le Qatar avec les sports collectifs, la Turquie, les pays européens avec les pongistes chinoises, les exemples sont nombreux dans le sport olympique. C’est intéressant d’ailleurs de noter que l’achat d’athlètes par les pays du Golfe scandalise bien davantage que les naturalisations de sportifs issus d’anciennes colonies par les pays européens. Cette tendance n’est évidemment pas exempte de risques : elle renforce le pouvoir de l’argent dans le milieu sportif, remplace l’investissement dans les équipements, la formation des sportifs et la détection des talents chez eux et affaiblit la relation symbolique avec les sportifs nationaux. Cependant le panorama est à nuancer puisque chaque fédération adopte sa propre réglementation qui cohabite par ailleurs avec celle du Comité international olympique. L’historien du sport Patrick Clastres rappelle d’ailleurs qu’initialement l’idée de nation n’était pas présente dans les premiers Jeux olympiques modernes : elle apparaît en 1908 sous la double pression des pays qui y voient le bénéfice politique et des médias qui en comprennent l’attractivité pour le public. C’est à ce moment-là que les comités olympiques nationaux et le Comité international olympique vont monter en force.

Les footballeurs binationaux 

Comme dans les autres disciplines, certains footballeurs binationaux (avec la nationalité française) ont adopté une autre nationalité, qui n’est pas forcément liée à leurs origines. Aymeric Laporte joue pour l’Espagne, Armel Bella-Kotchap, franco-camerounais, qui depuis son jeune âge s’est formé en Allemagne, joue pour ce pays. Leur choix n’est pas motivé par des raisons familiales, mais par une opportunité professionnelle plus intéressante qu’en France. Ces sportifs privilégient donc leur développement professionnel plutôt que la représentation de leur pays, ce qui est le cas des Français de l’étranger en général, sans que personne ne considère que ces derniers trahissent leur pays en portant leur talent ailleurs. D’autant plus qu’à l’instar des autres Européens, ils ont le droit à circuler librement, sans être limités par des question sde visas.

Ce qui est plus commun en revanche, ceux sont les sportifs binationaux qui jouent dans le pays de leur autre nationalité (ou dans le pays d’origine de leur parents) : Raphaël Guerreiro de mère française et père portugais et Anthony Lopes d’origine portugaise, nés en France qui après leur formation ont fait le choix du Portugal ; Ludovic Obraniak, né en Moselle qui a opté pour la nationalité polonaise de son grand-père et Damien Perquis de sa grand-mère, la législation polonaise s’appuyant sur le droit du sang, permet la transmission de la nationalité. Ils ont été progressivement acceptés par les supporters comme « un des leurs ». Leurs exemples sont intéressants à double titre : par leur bi-nationalité et par le choix du pays. En effet, on ne peut pas demander à un citoyen binational de naissance de choisir entre ses deux pays, car il n’a pas choisi d’être binational, ce sont les circonstances de sa naissance qui lui ont conféré ce statut.Un sportif binational s’est nécessairement davantage préparé dans l’un de ses deux pays, celui de sa résidence au moment de sa formation technique, que dans l’autre. 

Plus habituellement, un joueur binational, Français de naissance et porteur d’une autre nationalité, celle de ses parents issus de l’immigration par exemple, optait pour la France. On note quelques exemples dans la sélection française, mais pas de la manière que l’on tend à croire. En effet, parmi les joueurs sélectionnés pour la Coupe du monde de 2022, sont nés français et ont la seule nationalité française, avec ou l’un ou les deux parents d’origine étrangère :  Alphonse Areola, (parents philippins), Jules Koundé (père béninois, mère française), William Saliba (mère camerounaise, père libano-français), Randal Kolo Muani (parents congolais),  Ibrahima Konaté (parents maliens),  Youssouf Fofana (parents ivoiriens), Mattéo Guendouzi (mère française, père franco-marocain), Aurélien Tchouaméni (parents camerounais), Ousmane Dembélé (père malien,mère sénégalomauritanienne), Kylian Mbappé (père camerounais, mère française) et Steve Mandanda, (parents congolais, il est né à Kinshasa). Axel Disasi qui est français d’origine congolaise, a été présélectionné avec la République démocratique du Congo en mars 2020 mais a choisi la France (il n’est pas binational). Parmi ceux qui possèdent la double nationalité, il y a Dayot Upamecano né en France, d’une famille provenant de Guinée-Bissau, dont il possède également la nationalité ; Eduardo Camavinga né à Miconje, dans un camp de réfugiés où ses parents avaient fui la République du Congo, une enclave angolaise située entre la République démocratique du Congo (RDC) et la République du Congo,  il détient les nationalités de l’Angola et de la République du Congo. Sa famille a quitté l’Angola pour la France en 2003 et obtenu la nationalité française en 2019, Eduardo Camavinga avait alors 17 ans et devenait sélectionnable en équipe de France. Enfin le cas toujours polémique de Karim Benzema, enfant terrible du football hexagonal, de parents d’origine algérienne, qui a la double nationalité et avait laissé courir des rumeurs en 2006 sur une éventuelle sélection avec l’Algérie, déclarant sur RMC en décembre 2006 : « C’est le pays de mes parents, c’est dans le cœur. Mais bon après sportivement, c’est vrai que je jouerai en équipe de France. Je serai là toujours présent pour l’équipe de France. » Des propos que l’on retrouve très souvent dans la motivation de certains joueurs repartis jouer dans le pays de leurs parents à la grande joie de ces derniers. Donc si l’on s’en tient à la nationalité au sens légal, les binationaux sont extrêmement minoritaires en équipe de France.

D’ailleurs dans ce sens (vers la nationalité française), hormis l’extrême-droite, tout le monde s’accordait à trouver normal que les talents présents sur le territoire national alimentent le vivier français. Or depuis quelques années, on assiste à un phénomène nouveau que le dernier Mondial a rendu visible et dont le sujet a été médiatisé : le cas des joueurs Français binationaux qui ont joué pour la sélection de leur autre nationalité. En effet, dans cette édition, en plus des joueurs cités précédemment (A. Bella-Kotchap, A. Laporte, R.Guerreiro), il y avait aussi deux franco-marocains, huit franco-camerounais, neuf franco-sénégalais et 10 franco-tunisiens qui n’ont pas joué pour la sélection tricolore. Sans oublier Karim Boudiaf dont le cas est emblématique : né en France d’une mère marocaine et de père algérien, il s’est formé en France avant de partir au Qatar à l’âge de 18 ans et a joué pour ce pays lors de la Coupe du monde. Pourtant les médias l’ont comptabilisé comme joueur français parti dans le Golfe alors même qu’il n’a jamais eu la nationalité française…Tendance qui se poursuit encore comme le montrent les rumeurs, depuis 2019, concernant le passage d’Houssem Aouar, franco-algérien (né en France de parents algériens) de la sélection française à celle de l’Algérie, qui semble se préciser, alors que le joueur n’a finalement pas été sélectionné pour la Coupe du Monde. Cette situation est liée au fait que les clubs non-européens passent à l’offensive en essayant d’attirer des cadres formés en Europe et dont les liens avec le pays et la possibilité d’une meilleure place, voire d’une place tout court,peuvent séduire. On se souviendra du cas emblématique de Lionel Messi, argentin parti à l’âge de 13 ans en Espagne, pays qui lui a proposé de la représenter, avant que l’Argentine ne favorise (invente diront certains) un match amical avec le Paraguay en 2004 lui permettant de faire ses débuts en sélection argentine. 

Didier Deschamps a d’ailleurs été accusé par le Sénégal de n’avoir sélectionné Boubakar Kamara que pour empêcher le pays de l’intégrer à la sélection nationale. Le joueur a dû monter au créneau sur les réseaux sociaux : « Je n’ai jamais hésité avec le Sénégal. Certes on m’a vu sur les réseaux sociaux avec un maillot du Sénégal, mais c’était pendant la CAN, parce que mon père est sénégalais et qu’une partie de moi est sénégalaise » (tweet 29 mai 2022). A l’inverse, Abdou Diallo a opté pour l’équipe nationale sénégalaise et a dû aussi s’expliquer sur son choix, démontrant que la bi-nationalité est toujours suspecte alors qu’elle est une richesse : « J’ai deux belles cultures, deux belles nationalités. Cela étant, il faut faire un choix. Mais ça ne fait pas de moi quelqu’un qui est moins Français. Ou plus Sénégalais. Je suis juste Abdou Diallo avec mon parcours, ma vie (…). Et aujourd’hui, c’est une force. Ma culture française, je l’aurai toujours. Mais je suis aussi Sénégalais, et ça non plus, on ne pourra jamais me l’enlever. Je ne suis pas un cas exceptionnel. La position de binational peut être difficilement compréhensible pour certains. Voire dérangeante. » Il répondait simultanément aux accusations sur son allégeance et aux attaques, qui consistent à dire que c’est son niveau footballistique insuffisant pour être en sélection française qui l’a incité à défendre une équipe moins qualifiée.

Le cas de fratries binationales illustre encore davantage à quel point les motivations sportives sont dominantes pour les joueurs. Lucas et Théo Hernandez, nés à Marseille respectivement en 1996 et 1997, sont les fils de Jean-François Hernandez, joueur français d’origine espagnole qui a fini sa carrière en Espagne. La famille a déménagé à Madrid en 2000, trois ans avant que leur père ne les abandonne. Alors que Théo intègre les équipes de France jeune à partir de 2015 et est retenu en équipe de France en 2021, Lucas a joué en Espagne avant d’être appelé dans l’Hexagone par Didier Deschamps, ce qui avait fait grincer des dents et fait courir le soupçon, qu’au-delà des considérations footballistiques, il avait accepté pour échapper à des poursuites judiciaires liées à des violences conjugales. Finalement sélectionnés tous deux pour la Coupe du monde 2023 avec le maillot tricolore (devenant les premiers frères évoluant ensemble en équipe de France en 89 ans), Théo remplacera son frère Lucas blessé. C’est une situation presque similaire à celle des frères Boateng : Jérôme Boateng, de mère allemande et père ghanéen, qui évoluait en Allemagne, a accepté la proposition du Ghana où il a trouvé sa place dans l’équipe nationale, ainsi que son frère Kevin-Prince Boateng. Dans la famille Aubameyang, alors que le père était un joueur international du Gabon, qui a évolué un temps en France, marié à une franco-espagnole, Pierre-Emerick Aubameyang aime rappeler qu’il est « franco-gabono-espagnol», possédant la triple nationalité. Après avoir été convoité il choisit en 2009 finalement de rejoindre le Gabon, ces deux frères Willy et Catilina y jouent depuis le début de leur carrière. En revanche, chez les frères Pogba, nés en France, seul Paul évolue en équipe de France, ses deux frères aînés, Florentin et Mathias, moins doués sont devenus internationaux guinéens.

On voit donc à quel point sur ce sujet se mêlent performance sportive et identité, enjeux professionnels et représentation nationale. Une question sous-jacente que pose cette « valse » des athlètes est le thème de la formation initiale : les années de préparation des sportifs de haut niveau sont coûteuses pour les pays. Quand une nation a investi dans un possible champion, le voir faire profiter de ses compétences à un autre pays à qui cela n’a rien coûté pourrait être un sujet de débat, comme lorsqu’un footballeur qui s’est formé dans un club part dans un autre juste avant de devenir professionnel. Concernant le sport, ce thème a été porté au Sénat en 2015 par Claudine Lepage, ancienne sénatrice représentant les Français établis hors de France et à l’Assemblée nationale en 2016 par Christophe Premat, ancien député de la 3ème circonscription des Français établis hors de France afin de trouver un moyen de mettre en valeur ces jeunes qui participent au rayonnement de la France. En effet, il existe quelques talents français résidant à l’étranger et scolarisés dans les lycées français de l’Agence pour l’enseignement français de l’étranger (AEFE). Ces établissements identifient régulièrement des sportifs français (binationaux ou pas), ne serait-ce que par leur pratique d’une discipline sans dispositif existant comme en France (pas de section sportive scolaire, ni d’aménagement d’horaires) qui doivent s’arranger pour mener de front études et sport. Ces jeunes se forment dans le pays où ils vivent, mais grâce à leur nationalité française, pourraient être reconnus par la France et bénéficier de conditions similaires. Par exemple, lors des épreuves du baccalauréat, une épreuve Sportif de Haut Niveau(SHN), constituée d’un dossier et d’un entretien, est proposée ; elle est différente de l’option sport, évaluée par l’établissement et de la spécialité EPPCS (éducation physique, pratiques et culture sportives) mise en place en 2021. Compte tenu de leur niveau, le ministère de l’Éducation n’est pas en mesure de les évaluer et l’accord entre celui-ci et les fédérations sportives permet d’attribuer une note au regard des résultats sportifs. Le statut de sportif de haut niveau est attribué en France par le Ministère chargé des sports et les listes des jeunes scolarisés sont proposés par chaque fédération sportive française et ne prend pas en compte les Français appartenant à des fédérations non-françaises. Il n’existe pas non plus la mise en place de commissions ad hoc qui pourraient statuer au cas par cas. Les amendements déposés par les parlementaires ont été rejetés, et la France a perdu l’occasion de récupérer des nationaux dont la formation n’avait rien coûté…

On constate donc que la bi-nationalité qui est antérieure à la carrière sportive est un sujet éminemment politique, car elle touche aux représentations identitaires, tout comme le sport qui est traversé par les tendances sociologiques du moment, dans un contexte mondialisé. La diplomatie sportive s’inscrit pleinement dans l’utilisation politique du sport par les nations. La FIFA s’est finalement emparée du sujet, exigeant que les joueurs démontrent un « lien évident » avec le pays dans lequel ils ne sont pas nés mais qu’ils souhaitent représentersoit par l’existence d’un parent ou grand-parent issu de ce pays, soit par le fait d’y avoir eux-mêmes résidé au moins cinq ans, ce qui leur permet d’acquérir une nouvelle nationalité.Pour la partie sportive, la réglementation stipule que pour obtenir une nouvelle nationalité, il faut ne pas avoir disputé un match international avec une autre équipe nationale. Ces nouvelles dispositions montrent une volonté d’éviter une fuite des talents, mais attribuent à la double appartenance une forme de légitimité dans la démarche.

Finalement l’opinion publique, omniprésente par l’émergence des réseaux sociaux et jamais avare de règles morales et normes comportementales appliquées à autrui, condamne l’athlète qui change de pays, que ce soit pour des raisons familiales, professionnelles, financières. Honte au sportif qui privilégie l’un de ses pays comme s’il trahissait l’autre, honte à celui qui change de nation comme s’il était un traître à la patrie, honte à celui qui après des années de sacrifice cherche les meilleures conditions pour son développement professionnel, honte à celui qui opte pour un meilleur rendement financier sachant que sa carrière sera nécessairement courte. Pourquoi le sportif devrait-il incarner une loyauté patriotique qui n’est exigée de personne d’autre ?

Par Florence Baillon et Matéo Zambrano



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