Confédération des États du Sahel : à Bamako, Abdourahamane Tiani et Assimi Goïta réaffirment une solidarité forgée dans l’épreuve

Le Général d'armée Abdourahamane Tiani, Président du Niger, a effectué ce mardi une visite d’amitié et de travail de quelques heures à Bamako. Accueilli avec les honneurs militaires par son homologue malien, le Général Assimi Goïta, Président de la Transition et de la Confédération des États du Sahel (AES), il a évoqué avec lui les défis sécuritaires, la coopération économique et diplomatique, ainsi que les grands chantiers de l’AES, dont la force conjointe et la future Banque d’investissement et de développement. 

Un accueil chaleureux qui n’avait rien de protocolaire. Car au-delà des drapeaux, des hymnes et des salves militaires, c’est bien une fraternité scellée par les épreuves qui se donnait à voir. Mali et Niger, rejoints par le Burkina Faso, forment aujourd’hui l’épine dorsale de la nouvelle Confédération sahélienne, une alliance née dans le tumulte des crises régionales et qui ambitionne de redessiner l’avenir politique, sécuritaire et économique du Sahel.

Le programme était dense. Après un tête-à-tête au Palais de Koulouba, siège de la présidence malienne, les deux dirigeants ont élargi leurs échanges aux membres de leurs délégations respectives. Autour de la table : des figures clés de la défense et des finances des deux pays, dont le Général Salifou Mody, Ministre de la Défense nigérien, et le Général Sadio Camara, son homologue malien.

Au menu : la sécurité, l’économie, la diplomatie et la mise en œuvre des grands chantiers de l’AES. Cette rencontre se voulait avant tout une « réunion de travail stratégique », selon un conseiller proche du dossier, mais elle a également revêtu une forte dimension politique : réaffirmer l’unité du bloc sahélien face aux pressions extérieures et donner un signal de confiance à leurs populations.

Une fraternité d’acier née dans l’épreuve

La portée de cette visite ne saurait se limiter au protocole diplomatique. Elle ravive le souvenir d’un moment charnière qui a redessiné la carte politique du Sahel : l’été 2023. À Niamey, le renversement du Président Mohamed Bazoum plongeait la région dans l’incertitude. En quelques jours, la CEDEAO s’était muée en bras armé de la pression internationale, agitant la menace d’une intervention militaire pour « rétablir l’ordre constitutionnel ». Le Niger se retrouvait alors au bord de l’isolement total, encerclé de menaces, sous la pression de sanctions économiques étouffantes.

Mais à Bamako et à Ouagadougou, le ton était tout autre. Sans détour, les autorités de transition malienne et burkinabè firent savoir qu’elles se tiendraient aux côtés de Niamey, quitte à entrer en guerre. Une déclaration qui prit de court les capitales occidentales et les instances régionales, habituées à un Sahel perçu comme fragmenté et fragile. Cette solidarité immédiate, presque instinctive, scella ce que beaucoup qualifieront plus tard de « pacte de sang » entre les trois nations sahéliennes.

Abdourahamane Tiani, revenu sur cet épisode lors d’un entretien exclusif à Bamako, n’a pas caché l’émotion qui continue de l’habiter. « À l'époque, mon arrivée avait pour objectif de remercier le peuple du Mali, du Burkina et de la Guinée pour le soutien qu'ils ont apporté au Niger lorsque la CEDEAO avait pris la malheureuse initiative d'agresser à travers les moyens militaires la République du Niger qui cherchait sa voie », a-t-il rappelé, la voix grave.

Puis, le Général a choisi ses mots avec soin : « C’est un sacrifice, et il faut le qualifier en tant que tel : le fait de rentrer dans la guerre éventuellement si le Niger venait à être agressé. » Derrière cette phrase, lourde de conséquences, se lit l’évidence : pour ces pays, défendre Niamey revenait à défendre leur propre survie, leur dignité et leur souveraineté.

Ce moment de vérité fut le ciment d’un édifice inédit. Quelques semaines plus tard, le 16 septembre 2023, naissait l’Alliance des États du Sahel (AES). En juillet 2024, à Niamey, cette alliance franchissait une étape décisive : sa transformation en Confédération des États du Sahel, désormais dotée de structures permanentes et de trois piliers fondateurs — sécurité, diplomatie, développement.

Plus qu’une simple chronologie institutionnelle, cet enchaînement illustre une conviction devenue irréversible dans l’esprit des dirigeants comme des peuples : le destin du Sahel ne s’écrit plus à Abuja, à Paris ou à New York, mais bien à Bamako, Niamey et Ouagadougou.

Une force conjointe déjà sur le terrain

L’un des points centraux de la coopération sahélienne est la sécurité. Sur ce terrain, le Président Tiani a confirmé que la force conjointe, avec son état-major basé à Niamey, était désormais opérationnelle. Ses bataillons participent déjà à des opérations coordonnées, bilatérales et multilatérales.

Pour les autorités sahéliennes, cette force se veut une réponse directe à la menace terroriste, mais aussi une affirmation de souveraineté. « Nous ne voulons plus déléguer notre sécurité à d’autres, ni être dépendants de forces extérieures aux agendas flous », a insisté le Général Tiani.

Un message qui s’inscrit dans la continuité du retrait progressif des armées françaises et européennes du Sahel depuis 2022, et qui confirme la volonté des dirigeants sahéliens de bâtir leur propre modèle de sécurité collective.

Diplomatie unifiée et ambitions économiques

Au-delà du militaire, l’AES entend peser sur la scène diplomatique. Aux Nations unies comme dans d’autres forums internationaux, Mali, Niger et Burkina Faso défendent désormais des positions communes, affichant une unité inédite. Une stratégie assumée, destinée à leur donner plus de poids face aux grandes puissances et à contrer l’isolement diplomatique.

Sur le plan économique, l’un des projets phares est la Banque Confédérale d’Investissement et de Développement. Les travaux préparatoires sont achevés et l’inauguration du siège, prévu à Bamako, interviendra prochainement. L’institution se veut le moteur du financement des projets structurants : infrastructures, énergie, agriculture, éducation. Une manière de réduire la dépendance aux bailleurs internationaux traditionnels, souvent accusés d’imposer des conditions contraignantes.

« Tout est prêt, du siège aux structures d’accompagnement. Les précisions finales seront annoncées lors de notre prochaine rencontre », a indiqué le Président nigérien, laissant entendre que Bamako sera bientôt le théâtre d’une nouvelle étape décisive.

Dans son intervention, Abdourahamane Tiani a insisté sur la dimension populaire du projet confédéral. « C’est une révolution conduite par les peuples eux-mêmes », a-t-il affirmé, rendant hommage aux citoyens sahéliens pour leur résilience. Pour lui, la Confédération n’est pas seulement une alliance militaire ou institutionnelle, mais avant tout un projet de souveraineté collective, porté par les aspirations profondes des populations.

Les défis à venir

Si la Confédération avance, les défis restent considérables. Les violences jihadistes continuent de frapper des zones entières du Mali, du Niger et du Burkina Faso. Les sanctions économiques imposées par certains partenaires régionaux ont laissé des traces. Et la construction d’un cadre institutionnel commun n’est pas sans complexité, tant les États membres doivent jongler entre leurs propres priorités nationales et les impératifs collectifs.

Cependant, pour les dirigeants sahéliens, l’essentiel est ailleurs : maintenir le cap de la souveraineté et bâtir des solutions « par et pour » les Africains du Sahel.

Après son passage à Bamako, Abdourahamane Tiani a poursuivi son déplacement à Ouagadougou pour rencontrer le Capitaine Ibrahim Traoré, autre pilier du triumvirat sahélien. Là encore, le message est clair : l’axe Niamey–Bamako–Ouagadougou n’est pas une alliance conjoncturelle, mais une véritable architecture politique régionale en gestation.

Pour les observateurs, cette tournée illustre l’émergence d’une « nouvelle géopolitique sahélienne », où les États décident de s’appuyer d’abord les uns sur les autres, plutôt que sur les organisations régionales ou internationales perçues comme lointaines, voire hostiles.

Dans un Sahel en proie à des défis sécuritaires, humanitaires et politiques sans précédent, le Mali et le Niger, aux côtés du Burkina Faso, envoient un message fort : celui d’une voie souveraine, audacieuse et collective. Un chemin escarpé, semé d’embûches, mais qu’ils entendent désormais parcourir ensemble, en s’appuyant sur ce qui constitue leur plus grande force : la volonté indomptable de leurs peuples. La Confédération des États du Sahel n’est plus un projet sur le papier ; elle est une réalité en marche. Et son pas, résolu, commence à marquer de son empreinte l’histoire tourmentée de la région.

Abdoulkarim (actuniger.com)